Avant de présenter deux études sur la nécessité de ne pas couper le cordon avant qu'il n'ait cessé de battre, je tiens à préciser que l'idée selon laquelle « le père, en coupant le cordon, sépare la mère de l'enfant » est fausse. En effet, par ce geste il ne fait que séparer l'enfant de son placenta. Sans parler du fait qu'en clampant trop tôt, on prive le bébé d'une quantité non négligeable de sang qui lui revient de droit.
J'ouvre donc une parenthèse en citant le début de l'émission « La matinée des autres » dans laquelle Martine Baude s'était intéressée en 1982 aux rituels et croyances qui entourent la naissance sous l’intitulé Placenta : Le compagnon des profondeurs :
« Dans notre culture on considère le placenta comme un déchet qu'on élimine rapidement après la naissance. On ne sait pas trop, du reste, à qui il appartient. Pas plus ce qu'il devient dans les maternités. Pourtant, ce même déchet était autrefois fortement valorisé. L'Europe traditionnelle le considérait comme le double du nouveau-né. Cette croyance, se retrouve encore maintenant, bien loin de l'Europe, en Afrique noire, où le placenta représente le jumeau, le petit frère de l'enfant.
C'est qu'au-delà de la vie utérine, il semble garder tous ses pouvoirs sur la vie. De nombreux rites assurent symboliquement sa survie. Rites liés à la terre, à l'eau. Quels sont ces rites ? Pourquoi notre société actuelle a t-elle refoulé ce compagnon des profondeurs dans l'oubli et dans les poubelles ? À ces questions répondent : Nicole Belmont (ethnologue française) Germaine Dieterlen (ethnologue africaniste) Michel Odent (obstétricien) Bernard This (psychanalyste). »
Je me dis que c'est probablement en comprenant la place essentielle du placenta que l'on pourra avoir de l'empathie pour ce cordon, et le respecter dans sa fonction jusqu'à ce qu'il ait terminé sa mission.
Photo de João Paulo de Souza Oliveira sur Unsplash.
Si l'on se posait deux minutes dans une réflexion de bon sens, la réponse serait évidente. Mais puisque nous voulons des études scientifiques pour valider notre intuition, voici ci-dessous quelques preuves pour l'étayer. Et malheureusement, malgré cela, de nombreux nouveaux-nés ne bénéficient encore pas des dernières données acquises de cette fameuse science...
Lost causes, side effects. GM Morley. BMJ 2001 ; 323 : 1389.
À propos d’une étude parue dans ce numéro du BMJ (Effects of iron supplementation and anthelmintic treatment on motor and language development of preschool children in Zanzibar: double blind, placebo controlled study. Stolzfus et al), et ayant constaté un risque plus élevé de problèmes neurologiques chez les enfants souffrant d’anémie, l’auteur expose ce qu’il a constaté pendant sa carrière d’obstétricien.
L’hypoxie néonatale peut induire très rapidement des dommages neurologiques irréversibles. A la naissance, l’oxygénation continue du nouveau-né est assurée par le placenta jusqu’au moment où les poumons de l’enfant prendront le relais ; lorsque ce sera fait, les vaisseaux du cordon se fermeront (réaction réflexe). Trop souvent encore, on coupe le cordon dès que l'enfant est né. Cela induit une hypoxie immédiate chez l’enfant ; de plus, cela empêche l’enfant de recevoir le sang du placenta, et augmente le risque d’hypovolémie ; cela favorisera la survenue d’une anémie chez l’enfant, qui à son tour favorisera la survenue de problèmes neurologiques. L’auteur se pose des questions sur les procédures obstétricales subies par les enfants enrôlés pour l’étude de Stolzfus.
Le fait d’attendre la fermeture spontanée des vaisseaux sanguins du cordon permet à l’enfant de bénéficier d’un apport sanguin optimal pour sa santé. Cela n’induit ni une hypervolémie, ni un ictère pathologique, ni une hyperviscosité, ni une polycythémie, comme certains l’ont affirmé. Toutes les études sérieuses sur le sujet concluent à la nocivité de la section précoce du cordon, qui est responsable d’hypoxie, d’ischémie, d’encéphalopathies éventuellement mortelles, de paralysie spastique, d’anémie, ou de troubles neurologiques mineurs apparaissant à long terme.
Étude 2. Les meilleures preuves actuelles : une revue de la littérature sur le clampage du cordon ombilical
Current best evidence : a review of the literature on umbilical cord clamping. JS Mercer. J Midwifery Womens Health 2001 ; 46(6) : 402-14.
L’auteur a passé en revue toute la littérature médicale publiée entre 1980 et 2001 sur l’impact du délai qui s’écoule entre la naissance et entre le moment où le cordon est coupé.
9 études portant sur 531 enfants répondaient aux critères de sélection de cette analyse. Pour ces études, le temps écoulé entre l’accouchement et la section du cordon allait de 3 mn à jusqu’au moment où il n’y avait plus de pulsations dans le cordon. Les enfants chez qui la section du cordon avait été tardive ne présentaient pas un taux plus élevé de polycythémie ou d’ictère. Ces enfants avaient aussi une prévalence plus basse d’anémie, et le taux d’allaitement était plus élevé à 2 mois.
Dans 7 études randomisées portant sur des prématurés, les avantages d’une section tardive du cordon (lorsqu’il avait cessé de battre) étaient encore plus net : les enfants avaient un hématocrite et un taux d’hémoglobine plus élevé, une pression sanguine plus stable, un meilleur volume sanguin, une adaptation cardio-pulmonaire plus rapide ; ils avaient besoin d’une oxygénation et d’une ventilation assistée pendant moins longtemps que les enfants chez qui le cordon avait été coupé rapidement, et ils ont nécessité moins de transfusions.
Couper immédiatement le cordon à la naissance peut abaisser de 50% la quantité de globules rouges reçue par l’enfant, et induire un certain nombre de problèmes à court et à long terme. Certains estiment qu’il est dangereux d’attendre que le cordon cesse de battre pour le sectionner ; ce point de vue n’est pas corroboré par les faits. Que ce soit chez les enfants à terme ou chez les prématurés, aucun inconvénient n’a été rapporté qui puisse être imputé à la section tardive du cordon.
Image par Gerd Altmann de Pixabay
Même si je pense que l'on n'a pas forcément besoin d'un savoir encyclopédique pour considérer l'importance d'attendre que la nature fasse son job avant que l'on intervienne toujours, voici une liste de ressources intéressantes :
Ne pas couper le cordon avant qu'il n'ait cessé de battre devrait être la norme ! ✌🏻
Extrait de mon livre La naissance autrement, éditions Jouvence, pages 100-101 dans lequel je liste tous les protocoles médicaux et leur pertinence, comment les aménager. Un livre utile pour réfléchir en conscience aux conditions de naissance et à son projet :
✂️ « Sans que personne ne songe à faire autrement, le cordon ombilical est couramment clampé puis coupé peu après la sortie du bébé, alors même qu’il bat encore. Une sage-femme témoigne à ce sujet : une fois, alors que j’accompagnais un couple en maternité - ayant accès à un plateau technique - je n’ai même pas eu le temps de dire quoi que ce soit : le cordon était déjà coupé ! Vouloir séparer l’enfant de sa mère est une habitude tenace ; pourtant en coupant, on ne fait que séparer le bébé de… son placenta !
👶🏻 De nombreuses études médicales soulignent d’ailleurs l’intérêt de retarder ce geste pour une meilleure oxygénation du bébé (...). Il est même possible d’attendre (...) et de ne le couper qu’après la sortie du placenta, sauf si le cordon est vraiment trop court pour que la maman puisse prendre son petit dans les bras ou le mettre au sein.
💡Cela n’est en rien dangereux pour la mère et est surtout bénéfique au bébé, qui s’adapte tranquillement à la vie aérienne sans forcément hurler. Il est donc dommage que cette pratique systématique soit si peu remise en question. »
Ce qu'en dit l'OMS : qu’il s’agisse de prématurité, de césarienne, ou de bébé né à terme, le clampage tardif est bénéfique ! Source : Clampage tardif du cordon ombilical pour réduire l’anémie infantile, PDF 5 pages, ce document recommande désormais d’intégrer cette pratique aux soins néonatals essentiels et à la prise en charge de la délivrance, car les anciennes recommandations n'étaient pas claires :
« Oui, le clampage tardif du cordon est bénéfique chez le prématuré. Il permet d'augmenter les réserves en fer du bébé et diminue le risque d'hémorragie intraventriculaire, d'entérocoloite nécrosante et d'infection néonatale. »
« Dans ses Recommandations pour la prévention et le traitement de l’hémorragie du post-partum publiées en 2012, l’OMS réitère sa recommandation précédente conseillant d’attendre avant de clamper et de couper le cordon ombilical après la naissance du bébé. Il a en effet été constaté que le clampage tardif du cordon ombilical permet un passage continu du sang du placenta vers le bébé pendant une à trois minutes supplémentaires après la naissance. On sait que le clampage légèrement plus tardif du cordon entraîne une augmentation de plus de 50% des réserves en fer à six mois chez les bébés nés à terme. »
Ce qu'en dit le mémoire de fin d'études de 2015 d’Élise Corvisier, sage-femme. Seulement 5% des sages femmes du CHU de Angers, par exemple, pratiquent le clampage tardif malgré les recommandations. Elles n’en avaient pour la plupart pas connaissance 😳 ! (Le mémoire est disponible ici) Alors n'hésitez pas à exprimer cette demande si vous souhaitez que le cordon ne soit pas clampé avant qu'il n'ait cessé de battre. Ce n'est pas encore une pratique courante en routine !
« Clampage tardif du cordon ombilical : obstacles théoriques et inquiétudes. Ictère (jaunissement des yeux et de la peau) nécessitant une photothérapie : Les études montrent que le risque d’ictère chez les bébés ayant bénéficié d’un clampage tardif du cordon n’est que de 4.36%, contre 2.74% chez les bébés ayant eu un clampage précoce. Il n’y a pas d’augmentation du risque d’ictère sévère. »
« Les effets bénéfiques du clampage tardif du cordon ombilical chez le nouveau-né. Augmentation des réserves en fer à la naissance et diminution de l’anémie infantile : Les études mettent en évidence une réduction de 61% du taux d’anémie nécessitant une transfusion sanguine en cas de clampage tardif du cordon. »
La liste des effets bénéfiques est listée comme suit pour les prématurés : augmentation des réserves en fer à la naissance et diminution de l’anémie infantile ; diminution du taux d’hémorragie intraventriculaire ; diminution du taux d’entérocolite nécrosante. Et : diminution du taux d’infection néonatale ; diminution des besoins en transfusion sanguine.
Donc on peut logiquement déduire que ce qui est bon pour les prématurés ou les bébés de pays défavorisés l’est aussi pour ceux nés à terme quel que soit leur pays de naissance. La physiologie a sa raison d'être et l'homme veut toujours l'explication scientifique. Mais la réalité est qu'un cordon cesse de battre quand le bébé est complètement autonome. Il prend son temps. Quelques minutes de respect, c'est juste... respecter la venue au monde.
À travers le mémoire de fin détudes de Manon Frioux, sage-femme, un audit de pratiques au CHU de Nantes en 2016 sur le clampage retardé du cordon, et incluant une séance de formation, résume :
« Alors que des études randomisées et des méta-analyses ont prouvé que le clampage retardé du cordon ombilical apportait des bénéfices certains aux nouveau-nés quel que soit leur âge gestationnel, la pratique au sein du CHU de Nantes semblait peu importante. Un audit de pratique a donc été réalisé avant et après une séance de formation qui correspondait à la mise en place d’une nouvelle procédure en salle de naissance du CHU de Nantes. Cet audit concernait les sages-femmes travaillant en salle de naissance.
La nouvelle procédure impliquait la généralisation du clampage retardé du cordon à tous les nouveau-nés avec une bonne adaptation à la vie extra- utérine et n’étant pas issus d’une grossesse gémellaire monochoriale. L’étude à montré que la pratique et la connaissance de ses modalités étaient plus importantes après la séance de formation notamment chez les nouveau-nés à terme qui n’était pas inclus dans l’ancienne procédure. Les bénéfices et les contre-indications présentés par cette procédure n’ont quant à eux été retenus qu’en partie.
L’évaluation objective de la pratique a montré qu’une amélioration des pratiques était toujours possible notamment en ce qui concerne les nouveau-nés prématurés. Il serait intéressant de réévaluer les pratiques à distance pour voir si le taux de pratique persiste et pour étudier la pratique lors des naissances par césarienne. »
La mission du placenta continue tant que le cordon n’a pas cessé de battre. Ne pas toucher au cordon, c'est respecter l'adaptation du nouveau-né à la vie aérienne jusqu'à sa complète autonomie.
Il est non seulement possible d'attendre que le cordon ait cessé de battre pour le clamper et le couper, mais on peut encore attendre que le placenta soit né aussi, comme l'illustre cette magnifique photo issue de la vidéo de Human Birth Project.
Pour finir, quelques infos sur le Lotus Birth. Voici un extrait du livre Ma grossesse bio et naturelle* écrit par Marie Touffet, sage-femme :
« Un bébé lotus est un bébé dont le cordon ombilical n’a pas été coupé à la naissance. Votre bébé reste attaché à son placenta. Le procédé de séparation reste le même physiquement parlant : le cordon de votre bébé se sèche, fonce et après quelques jours se sépare du corps de votre bébé, laissant une petite plaie qui se cicatrise très rapidement.
Le seul autre mammifère connu pour cette pratique est le chimpanzé. En 1974, une Américaine du nom de Clair Lotus Day fut interpellée par ce rituel et trouva un médecin acceptant de le faire pour son bébé. Depuis, la pratique s’est répandue dans les pays anglo-saxons et a même été vécue en France.
Elle permet à la naissance d’être physiologique jusqu’au bout. C’est le bébé qui décide lorsqu’il veut se séparer de cet organe qui l’a fait vivre. Les bébés lotus seraient plus entiers, plus indépendants et plus calmes. Cette pratique encourage le repos durant les premiers jours, même s’il est tout à fait possible de déplacer son bébé et son placenta. »
*Éditions Eyrolles, novembre 2008. Extrait p. 157. En novembre 2009, l'éditeur a choisi de réunir « Ma grossesse bio et naturelle » et « Maman bio » sous un titre unique : « Ma grossesse, mon bébé bio ».
Et le livre incontournable en français et entièrement dédié à ce sujet : Le placenta, rituels et usages thérapeutiques, de Cornélia Enning aux Éditions du Hêtre, a été réédité en 2022.
À propos
Hello 👋 Je suis Sophie Lavois, et j'ai créé ce blog. J'accompagne les femmes enceintes sur la voie de leur émancipation grâce au Projet de Naissance🗽
Le livre
La naissance autrement est le livre de référence sur le projet de naissance en France depuis 2006 🏆